Créé en janvier 2004, reprise en février/mars 2005
au > Théâtre Gérard Philipe

 
 
Pelleas et Melisande
photo © Bellamy

mise en scène Alain Ollivier
assistante à la mise en scène Clotilde Ramondou
scénographie Daniel Jeanneteau assisté de Laure Deratte
lumière Dominique Bruguière assistée de Pierre Gaillardot
costumes Laure Deratte
maquillages et coiffure Sophie Niesseron
son Anita Praz
conseillers musicaux Vincent Leterme, Alain Zaepffel
avec
Arkël, roi d'Allemonde Philippe Duclos
Geneviève, mère de Pelléas et de GolaudNicole Dogué
Pelléas, petit-fils d'Arkël Xavier Thiam
Golaud, petit-fils d'Arkël Antoine Caubet
MélisandeFlorence Payros
Le petit Yniold, fils de Golaud Gabriel Pauly
en alternance avec Mickaël Allouche
Un médecin, le portierHubertus Biermann
La vieille servante Nathalie Kousnetzoff
Servantes
Catherine Corringer
, Valérie Crunchant, Sylvie Pascaud
construction du décor Ateliers du Théâtre Gérard Philipe et Saïd Lahmar, Eric Morelon • peintres décoratrices Sabine Lamalle, Amanda Ponsa, Laurence Raphel, Pascale Stih • réalisation des costumes Martine Briand, Christine Heurlin, Violaine Lambert, Brigitte Massey, Gwen Tillenon • habillage Sylvie Régnier


 Production : Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Centre dramatique national

Dominique Bruguière et Daniel Jeanneteau ont obtenu, pour Pelléas et Mélisande, le prix des meilleurs créateurs d'élément scénique (respectivement lumière et scénographie), décerné par le syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse pour la saison 2003-2004

Compagnie Alain Ollivier

Pelléas et Mélisande

 
de Maurice Maeterlinck  (Éditions Labor)
mise en scène Alain Ollivier

 
Le succès remporté en 2004 par cette œuvre phare de Maeterlinck - dont André Gide se plut à dire qu'il était "un homme du Nord très positif, chez qui le mysticisme est une manière d'exotisme psychique" - méritait une reprise. Ce drame lyrique en cinq actes, paru à Bruxelles en 1892, créé le 17 mai de l'année d'après aux Bouffes-Parisiens par Lugné-Poe, qui n'avait que vingt-quatre ans, Alain Ollivier le considère toujours aussi neuf de nos jours, d'emblée au même plan que les chefs-d'œuvre d'Ibsen, Strindberg, Claudel ou O'Neill. Il pense que le moteur de la pièce est une méditation sur la condition féminine. Lorsque Mélisande aux longs cheveux dit à Golaud: "Ne me touchez pas!", cela ne peut-il en effet signifier qu'au soir de leurs noces elle fut victime de violences?
 

L'atmosphère de forêt mouillée qui émane de la scénographie de Daniel Jeanneteau baignée par la lumière savante de Dominique Bruguière, la pudeur frémissante des interprètes qui se vouent à faire respirer chaque mot d'une partition à l'économie rare, tout concourt, dans cette représentation, à susciter un plaisir raffiné, que la critique, dans son ensemble, a tenu à saluer. Il y a encore que Pelléas et Mélisande constitue une prodigieuse histoire d'amour et de mort, au même titre que Tristan et Yseult ou Roméo et Juliette, imaginée il y a plus de cent ans par un jeune homme rêveur qui, bien plus tard, s'intéressa à La Vie des abeilles.

Une date dans l'histoire du théâtre
L'année 1893, dans Paris, un jeune homme, Lugné-Poe - il a 24 ans - est à la recherche d'une salle de répétition, d'un peu d'argent aussi, et d'un théâtre. Il veut créer Pelléas et Mélisande dont Maeterlinck lui a confié le destin scénique. Il y parvient le 17 mai pour une seule représentation. Quelques autres se donneront ensuite à Bruxelles en juin. Et c'est une véritable révolution que fait le théâtre et bien au-delà de la scène française.
"L'impression fut énorme" nous rapporte Lugné-Poe. Et elle le fut, parce qu'après les vaines tentatives au Théâtre d'Art de jouer Axel de Villiers de L'Isle-Adam, le poème dramatique de Maurice Maeterlinck réalisait sur scène l'idéal théâtral espéré par la génération symboliste. Ce faisant, Maeterlinck et son metteur en scène délivraient la scène des chaînes du réalisme social dans son ambition la plus étroite, produire des " décalques photographiques de la simple nature".
L'ambition de Maeterlinck était tout autre: "Il ne s'agit pas d'exprimer le rationnel et le sentiment lucide qui sont compréhensibles en des mots sûrs et clairs mais ce qui se trouve au-delà de la raison et avant le sentiment, les débuts ternes et confus d'une sensation, tous les phénomènes étranges qui restent tapis sous le seuil de la conscience et ne sont ressentis que comme un gémissement sourd qui sort du dernier abîme de la nature, là où l'esprit ne pénètre pas …"
Sur scène, aujourd'hui, nous agirons librement avec le "gothique" que nous ressentons comme trop circonstancié au contingent de l'époque, pour ne nous attacher qu'à incarner l'esprit de l'œuvre. Saisir sa réalité poétique. Nous efforçant de réaliser ce qu'écrit Gaston Bachelard, qui nous semble si bien définir l'esprit de Pelléas et Mélisande : " Maeterlinck a travaillé aux confins de la poésie et du silence, au minimum de la voix, dans la sonorité des eaux dormantes."
Avec la musique de Debussy, Pelléas et Mélisande est entré dans la mythologie. L'opéra ne doit pas nous faire oublier le poème dramatique qui a été à l'origine du renouveau du théâtre et de la création du Théâtre de l'Œuvre, à qui nous devons tant de découvertes.

Alain Ollivier

Le Silence
La parole est du temps, le silence de l'éternité. Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications véritables entre les êtres. Les lèvres ou la langue peuvent représenter l'âme de la même manière qu'un chiffre ou un numéro d'ordre représente une peinture de Memlinck, par exemple, mais dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous sommes obligés de nous taire ; et si, dans ces moments, nous résistons aux ordres invisibles et pressants du silence, nous avons fait une perte éternelle que les plus grands trésors de la sagesse humaine ne pourront réparer, car nous avons perdu l'occasion d'écouter une autre âme et de donner un instant d'existence à la nôtre ; et il y a bien des vies où de telles occasions ne se présentent pas deux fois …
Nous ne parlons qu'aux heures où nous ne vivons pas, dans les moments où nous ne voulons pas apercevoir nos frères et où nous nous sentons à une grande distance de la réalité. Et dès que nous parlons, quelque chose nous prévient que des portes divines se ferment quelque part. Aussi sommes-nous très avares du silence, et les plus imprudents d'entre nous ne se taisent pas avec le premier venu. L'instinct des vérités surhumaines que nous possédons tous nous avertit qu'il est dangereux de se taire avec quelqu'un que l'on désire ne pas connaître ou que l'on n'aime point ; car les paroles passent entre les hommes, mais le silence, s'il a eu un moment l'occasion d'être actif, ne s'efface jamais, et la vie véritable, et la seule qui laisse quelque trace, n'est faite que de silence. Souvenez-vous ici, dans ce silence auquel il faut avoir recours encore, afin que lui-même s'explique par lui-même ; et s'il vous est donné de descendre un instant en votre âme jusqu'aux profondeurs habitées par les anges, ce qu'avant tout vous vous rappellerez d'un être aimé profondément, ce n'est les paroles qu'il a dites, ou les gestes qu'il a faits, mais les silences que vous avez vécus ensemble ; car c'est la qualité de ces silences qui seule a révélé la qualité de votre amour et de vos âmes.
Je ne m'approche ici que du silence actif, car il y a un silence passif qui n'est que le reflet du sommeil, de la mort ou de l'inexistence. C'est le silence qui dort ; et tandis qu'il sommeille, il est moins redoutable encore que la parole ; mais une circonstance inattendue peut l'éveiller soudain, et alors c'est son frère, le grand silence actif, qui s'intronise. Soyez en garde. Deux âmes vont s'atteindre, les parois vont céder, des digues vont se rompre, et la vie ordinaire va faire place à une vie où tout devient très grave, où tout est sans défense, où plus rien n'ose rire, où plus rien n'obéit, où plus rien ne s'oublie … Et c'est parce qu'aucun de nous n'ignore cette sombre puissance et ses jeux dangereux que nous avons une peur si profonde du silence. Nous supportons à la rigueur le silence isolé, notre propre silence : mais le silence de plusieurs, le silence multiplié, et surtout le silence d'une foule est un fardeau surnaturel dont les âmes les plus fortes redoutent le poids inexplicable. Nous usons une grande partie de notre vie à rechercher les lieux où le silence ne règne pas. Dès que deux ou trois hommes se rencontrent, ils ne songent qu'à bannir l'invisible ennemi, car combien d'amitiés ordinaires n'ont d'autres fondements que la haine du silence ? Et si, malgré tous les efforts, il réussit à se glisser entre des êtres assemblés, ces êtres tourneront la tête avec inquiétude, du côté solennel des choses que l'on n'aperçoit pas, et puis ils s'en iront bientôt, cédant la place à l'inconnu, et ils s'éviteront à l'avenir, parce qu'ils craignent que la lutte séculaire ne devienne vaine une fois de plus, et que l'un d'eux ne soit de ceux, peut-être, qui ouvrent en secret la porte à l'adversaire.

Maurice Maeterlinck    
Le Trésor des humbles, Paris, Mercure de France, 1896   
 

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