Le Cid © Bellamy
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écouter un extrait / acte 5, scène 1 | ||
Le Cid
Le Cid, ou les larmes d’Eros.
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Composée en 1636, Le Cid est jouée pour la première fois, probablement le 16 janvier 1637.
L'œuvre est inspirée à son auteur dans des années où la France repousse au nord les armées espagnoles sans cesse menaçantes et où la famille royale traverse, à l'intérieur, de grands périls qui se développeront jusqu'à menacer son existence à l'heure de la Fronde.
La noblesse ne réalise pas que le devenir de la France passe par un exercice de la responsabilité politique qui ne doit plus rien aux valeurs féodales, que l'évolution sociologique et économique en cours conduit à l'affirmation d'une conception de l'État qui fera prévaloir les devoirs envers le souverain et la nation naissante sur l'individualisme aristocratique.
Dans Le Cid , le roi Don Fernand s'oppose au duel. Il s'y oppose, parce que le recours à cet usage ancien pour obtenir justice, conteste et affaiblit l'autorité judiciaire dont la monarchie entend instaurer la légitimité. On se souvient qu'en 1613 le duel qui décimait la noblesse (entre 1598 et 1606, près de huit mille gentilshommes avaient ainsi perdu la vie) avait été interdit et puni de la peine de mort par Richelieu et Louis XIII, tous deux inflexibles. Ainsi, dans la pièce, le duel a valeur plus complexe que de venger l'honneur bafoué, c'est le symbole autour duquel se joue l'autorité monarchique. C'est aussi l'instrument par quoi Corneille met en scène une dimension nouvelle sur le théâtre français, le politique.
Le politique, agent de l'Histoire qui va, tel le fatum, bouleverser la vie de Chimène et de Rodrigue.
On n'entend, le plus souvent, dans la voix du Comte de Gormas que le débordement de l'orgueil blessé. Or, très vite, cette surestimation que le Comte a de sa valeur l'entraîne à parler haut son insubordination à la souveraineté royale. Le soufflet à Don Diègue est déjà le fait de cet esprit qui, treize ans plus tard, soulèvera la Fronde des princes.
Voilà comment pour retrouver l'honneur perdu de son nom et pour rester digne de Chimène, Rodrigue se doit de demander réparation au Comte. Il le fait, il le tue, il se met,par là, hors-la-loi, et devant le corps du père de Chimène percé du coup fatal porté avec le fer de Don Diègue, Rodrigue réalise qu'il n'a pas d'autre issue que d'aller abandonner sa tête et offrir son sang à celle qu'il aime.
C'est ici que Corneille donne à son poème dramatique la dimension tragique. Chimène, obéissant à l'ordre ancien qui la constitue, elle aussi, au seuil de son âge adulte, ne se conçoit à Rodrigue que lavée de son déshonneur par le sang de l'assassin de son père. Et puisqu'elle l'aime, c'est dans la mort… Le poursuivre le perdre et mourir après lui. Les larmes dans le timbre et la respiration de sa voix sont des « larmes d'Eros ».
Rodrigue et Chimène sont alors pris dans «la machine infernale». .
Tyrannique à la mesure de son humiliation, le père avait demandé au fils l'impossible.C'est aussi le père qui inspirera au fils le moyen de renverser le cours du destin. C'est de moi seulement que je prendrai la loi, proclamait déjà Alidor dans La Place Royale. Inspiré du même génie, Rodrigue transgresse l'ordre militaire et par sa victoire sur les Maures à l'embouchure du fleuve et de la mer, oblige son roi au pardon et Chimène à dire publiquement son invincible amour.
Cette merveilleuse action dramatique n'aurait pu suffire au succès foudroyant du Cid et à sa gloire partout en Europe sans la nouveauté et la clarté de son art qui en fait un des moments les plus éclatants de ce long combat qui s'est livré pour la langue française depuis qu'en 1539, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, elle devint langue officielle du royaume.
Avec Le Cid la poésie dramatique s'imposait comme la forme la plus vivante de la littérature.
C'est ce que, en 1685, Jean Racine fait entendre à ses pairs dans l'enceinte de l'Académie française : « Dans cette enfance, où pour mieux dire, dans ce chaos du poème dramatique parmi nous [Corneille], après avoir quelques temps cherché le bon chemin, et lutté, si j'ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siècle, enfin, inspiré d'un génie extraordinaire, et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements dont notre langue est capable, accorda heureusement le vraisemblable et le merveilleux, et laissa bien loin derrière lui tout ce qu'il avait de rivaux, dont la plupart désespérant de l'atteindre, et n'osant plus entreprendre de lui disputer le prix, se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui, et essayèrent en vain, par leurs discours et par leurs frivoles critiques, de rabaisser un mérite qu'ils ne pouvaient égaler.»